« Il faut absolument construire des usines pour développer l'industrie 4.0 en France »
Le Made in France n'est pas hors de la course quand il s'agit de données ou d'intelligence artificielle, affirme Olivier Bouffault, un expert du sujet au BCG. Mais l'Hexagone manque d'investissements industriels pour tenir le rythme des grands pays industriels, dit-il.
Vous êtes un spécialiste de l'utilisation des données et de l'intelligence artificielle. Où se situe l'industrie française en la matière dans le concert mondial de la production ?
La France est plutôt dans le ventre mou ou la queue de peloton. Mais elle n'est pas déconnectée. Après un allumage tardif, elle monte en puissance depuis trois ans. En 2018, l'Hexagone était le dernier pays de notre panel, avec seulement 10 % des industriels qui avaient adopté au moins une technologie data dans leur activité. Les Etats-Unis étaient premiers, avec un taux de 25 %, devant la Chine, à 23 %. En 2020, la Chine a pris la tête avec un taux de 50 % d'adoption, tandis qu'Allemagne a bondi en trois ans de 15 % à 41 %. La France a également progressé, passant devant les Etats-Unis et le Japon, avec un taux de 37 %. Les quatre premières places du classement sont occupées par la Chine, l'Inde, le Mexique et l'Allemagne, ce qui n'est pas étonnant : ce sont les grands pays industriels qui attirent le plus d'investissements, et quand on construit une nouvelle usine, on y installe des technologies avancées.
C'est grave de ne pas être en pointe sur le sujet ?
On a envie de dire oui, puisque tout cela se construit petit à petit. Les écarts se creusent en faveur des pays les plus avancés, et il est toujours dangereux de prendre du retard sur ses concurrents. L'investissement est au coeur de la problématique. Il faut construire de nouvelles capacités de production pour avancer sur l'usine 4.0. Celle-ci est une opportunité, un terrain qui peut être positif et qui réduit l'effet du coût de la main-d'oeuvre. Les compétences et les infrastructures sont là en France, mais quand on transforme un site existant, le retour sur investissement est beaucoup plus compliqué. Il faut absolument de la création de nouveaux sites.
Quelles sont les filières en avance ?
Aujourd'hui, ce sont plutôt les grands groupes et les ETI qui tirent le sujet. Les choses ont démarré dans l'aéronautique, dans l'automobile ou la chimie, et s'étendent désormais à toute l'industrie, et notamment l'agroalimentaire, les biens de consommation et le luxe et la mode, des secteurs où la France a une base installée importante et dispose d'acteurs de premier plan. Les données peuvent servir à améliorer les coûts et l'empreinte environnementale de la production, à optimiser l'approvisionnement et la logistique.
Le renforcement de l'e-commerce et le poids pris par la qualité de service, la résilience de la chaîne de production et la personnalisation accélèrent le mouvement. Pour la France, il est important de ne pas se tromper, notamment dans les biens de consommation.
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Quelles sont les difficultés de l'exercice ?
Il s'agit d'une transformation longue dont nous ne sommes qu'au début. Il faut savoir être clair sur la stratégie et la feuille de route, et il y a une question de compétences. Réussir à payer un jeune ingénieur 200.000 euros, ou à faire en sorte que les personnes sur le terrain sachent mettre en place les innovations dans leur environnement et en tirer parti. C'est le défi majeur. L'autre difficulté est celle de l'écosystème : les systèmes informatiques d'une entreprise doivent pouvoir communiquer entre eux, et l'entreprise doit pouvoir se connecter à ses clients et ses fournisseurs. On ne pourra pas stocker dix fois la même information : avec l'afflux de données, cela aura de l'importance pour les coûts. Des synergies seront nécessaires.
Quand on dit synergie, on pense emploi. Quel impact aura cette transformation sur les effectifs industriels ?
Les machines ne remplaceront pas les hommes. Au contraire, c'est créateur d'activités nouvelles et ce sont les usines qui ne seront pas modernes qui fermeront. Il faut du monde pour faire marcher tout ça. Ce n'est pas destructeur, c'est l'inverse. Les syndicalistes l'ont d'ailleurs en général bien compris.
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